Vartan Matiossian et Artsvi Bakhchinyan
Ստորեւ կը հրատարակենք ֆրանսացի հռչակաւոր արձանագործ Օկիւստ Ռոտէնի (1840-1917) թանգարանի արխիւին մէջ պահուող եօթ կարճ գրութիւն, որոնք արուեստագէտին յղած է հայ պարուհի Արմէն Օհանեանը (Սոֆիա Փիրբուդաղեան, 1887-1976)։
Այս արուեստագիտուհին, որ շուտով նաեւ նշանաւոր ֆրանսագիր գրագիտուհի պիտի դառնար եւ աւելի ուշ՝ սպանագիր գրականագէտ Մեքսիքոյի մէջ, 1910-ականներուն մծ հռչակ վայելած է Ֆրանսայի մէջ իր արեւելեան եւ «ազատ» բնոյթի պարերով։ Ան Ռոտէնի հետ ծանօթացած է 1913-ին, իրենց ընդհանուր բարեկամի՝ փարիզաբնակ ամերիկացի գրագիտուհի Նաթալի Քլիֆըրտ Պըրնիի (1876-1972) միջոցաւ։ 1915-ին, առիթով մը Օհանեան երկու ժամ պարած է Ռոտէնի համար, եւ մեծանուն քանդակագործը ցանկութիւն յայտնած է կերտել անոր արձանը։ Ցաւօք, այս մտադրութիւնը իրականութիւն չէ դարձած՝ Ռոտէնի յառաջացեալ տարիքին պատճառով։
Հրատարակուող գրութիւնները, որքան ալ գործնական բնոյթի, ցոյց կուտան այն սէրն ու երկիւղածութիւնը, որ հայ արուեստագիտուհին տածած է հռչակաւոր ֆրանսացիին հանդէպ։
ՎԱՐԴԱՆ ՄԱՏԹԷՈՍԵԱՆ (Նիւ ճըրզի)
ԱՐԾՈՒԻ ԲԱԽՉԻՆԵԱՆ (Երեւան)
Au cours de sa vie à Paris dans les années 1910-20, Armène Ter-Ohanian(1) (1887-1976), célèbre danseuse et écrivaine arménienne, a connu de nombreuses célébrités de la société française: écrivains, artistes, personnalités politiques. L’un des plus remarquables épisodes de cette période parisienne fut sa connaissance avec Auguste Rodin (1840-1917), sculpteur français de renommée mondiale.
Leur rencontre aurait sans doute eu lieu en 1913, chez une amie proche d’Ohanian, Natalie Clifford Barney (1876-1972), écrivaine américaine expatrié à Paris. Sa résidence, au 20, rue Jacob, dans le Quartier latin, est devenue le lieu de réunions hebdomadaires des écrivains français et étrangers, artistes de tout genre et autres intellectuels, en continuant les rencontres dejà initiés dans sa maison à Neuilly. Même s’ils parlaient surtout littérature, tous les sujets étaient permis, allant des arts aux derniers potins et de la musique à la politique. Depuis 1913, leurs réunions se tenaient tous les vendredis de 17 à 20 heures de mai à juillet puis d’octobre à décembre. Dans les années 1910, les habitués du salon étaient, entre autres, Pierre Louÿs, J.-C. Mardrus et son épouse Lucie Delarue-Mardrus, le comte Robert de Montesquieu, écrivain dandy, Paul Claudel et Anatole France, des futur Prix Nobel de la Littérature, ainsi qu’Auguste Rodin. À Neuilly et a rue Jacob, le salon de Barney, l’un des plus célèbres à la Cité-Lumière, a continué pour plus de soixante ans, jusqu’à la fin des 1960s.
Nathalie Barney était bien connue pour ses positions contre la guerre, qu’elle répétait souvent au cours de leurs séances au salon. Le 26 juillet 1915, elle a organisé une «heure de mémoire» en hommage des jeunes poètes morts pendant la guerre, qui a eu lieu en face du petit «Temple de l’Amitié» érigée dans le jardin de sa maison. Le programme comprenait un morceau de musique de Paul Dupin, des danses d’Ohanian accompagnées de lyre et de flûte, et des lectures des œuvres de deux poètes homosexuels, Renée Vivien (1877-1909), l’un des ex-amants de Barney, et Robert d’Humières (1868-1915), tué au front exactement deux mois auparavant. Auguste Rodin, aussi Oskar Milosz (l’écrivain lituanien d’expression française) figuraient parmi les invités(2).
Auguste Rodin s’intéressait à la danse depuis longtemps. Il avait déjà peint Isadora Duncan et ses élèves, ainsi que le Ballet Royal du Cambodge. À la fin du mois de mai 1915, après son retour d’Italie, son secrétaire Marcelle Tirel est allée le voir dans son atelier, où il faisait une étude du Pape Benoît XV. Ils ont parlé de ses impressions du voyage: «Pendant cette conversation, entra M. Léonce Bénédite (c’était la première fois que je le voyais). Il était accompagné de Mme Armène Ohanian, tout à fait charmante, qui emporta une rose que Rodin avait apportée de Meudon pour moi et que j’avais mise sur la table. On réadmira le Pape et les compliments reprirent. Ils ne furent interrompus que par l’arrivée d’un vieux antiquaire sale qui apportait à Rodin des étoffes et des miniatures persanes»(3). Bénédite a été directeur du Musée de Luxembourg et président de la Société des peintres orientalistes, où Ohanian avait dansé en 1914. Il deviendra plus tard le premier directeur du Musée Rodin.
À cette même époque, Lévon Pachalian, écrivain arménien vivant à Londres, a écrit à Archag Tchobanian, en termes élogieux, au sujet de l’«incroyable succès à Paris» de la danseuse: «Imagine qu’elle a dansé pendant deux heures dans l’atelier de Rodin pour le maître, et le vieux homme était tellement enthousiaste qu’il voulait faire sa sculpture! Le directeur du Musée de Luxembourg a déclaré qu’il allait immédiatement acheter la statue pour le musée. C’est quelque chose au-delà de la gloire: l’immortalité!»(4) Malheureusement, cela n’a été qu’une idée irréaliste. Il n’y a pas de preuve documentaire que cette statue eut été sculptée. Sinon, elle figurerait sans doute dans le portfolio de la danseuse.
Ayant appris que le sculpteur français et la danseuse arménienne se connaissaient, nous nous sommes adressés au Musée Rodin à Paris, leur demandant s’ils possédaient tout matériaux concernant Armène Ohanian. Bientôt, nous avons reçu une réponse positive: les archives du Musée conservent trois lettres (non datées) et deux cartes de visites envoyées par la danseuse à Rodin. Maeva Abillard, attachée de conservation chargée des dessins et des photographies du Musée Rodin, nous a envoyé les photos numériques de ces lettres et cartes, pour lequel nous la remercions profondément.
Ci-dessous nous publions pour la première fois la transcription exacte des lettres d’Armène Ohanian, adressées à Auguste Rodin. Il y a des erreurs de langue qui nous avons préféré de ne pas corriger. La première est une lettre où Ohanian exprime sa joie à Rodin, les autres sont de petits messages. De plus, le musée possède une photographie faite par le célèbre photographe Anglo-Allemand Emil Otto Hoppe (1878-1972) représentant la danseuse avec une annotation à l’attention de Rodin, ainsi qu’une traduction de quatrain de Ghemery avec la signature d’Ohanian.
-1-
Mardi
Cher Maître,
Après des longues hésitations j’ose vous écrire, quoique probablement vous avez déjà oublié la petite et sauvage asiatique qui dansait pour vous l’autre jour dans votre palais plein de vos chef-d’œuvre.
Si vous saviez avec quelle impatience elle conte les jours qui doivent passer avant qu’elle pourra frapper à vos portes. Si vous saviez tous ses rêveries, tous ses espérances de bonheur de voir encore vos yeux d’artiste inspiré se reposant sur elle.
Mais vous reverrai-je encore?
Ne seront-ils pas vos yeux, indifférent vers tout ce que vous a frappé dans mes danses sauvages?
O, si quelqu’un aurait pu me dire, o non, mon exile ne m’aurait pas été si cruel!
Vous reverrai-je encore, frapperai-je de nouveau à vos portes? S’ouvriront-ils pour moi aussi hospitalieusement comme ceci était il y a 10 jours?
Je veux croire et vivre en espérant pleine de bonheur, de rêver de la beauté dont sont pleines vos mains mystérieuses.
Armène Ter-Ohanian
(Sur du papier à l’en-tête de l’Hotel Savoy, de Londres)(5)
-2-
Salut à mon Maître!
Quand pourrai-je déposer à ses pieds mes humbles hommages d’admiration?
Mais que pourront dire l’admiration les plus frénétiques à celui qui a mis sur ses pierres la frénésie du monde entier.
Armène Ter- Ohanian.
/ Paris./ 24 rue de Ponthieu./ Mardi
-3-
Mon cher Maître
Voulez vous en hommage à des jeunes poètes tués pour leur chère France honorer par votre présence l’audition de leurs vers, qui seront dit par Suzanne Desprès(6) et Berthe Bady(7) dans le jardin de Miss Barney lundi à 3 h.
Je passerai demain pour un instant savoir si vous viendrez. Vous verrez vos amis Remy de Gourmont(8) et Duchesse Clermont Tonnerre(9).
A vous respectueusement
Armène Ter-Ohanian
-4-
39, rue de l’Arbalète
Mon cher maitre et roi Davide,
Comme nous serons heureuses, moi, Miss Barney et la Baronne de Brimont(10), d’honneur d’être reçues par vous pour déposer aux pieds de vos marbres nos hommages à leur créateur.
J’espère un mot de vos mains sacrées indiquant le jour et l’heure.
Armène Ohanian
-5-
(Sur la 1ère lettre à la Princesse Karamat-es-Saltane)
A mon Maître
le Grand Magicien
August Rodin
(Le Roi Davide)
D’Armène Ter-Ohanian
Paris 1915
-6-
(sur sa carte de visite)
A mon Maître et mon roi Davide tous les meilleurs souhaits
39, rue de l’Arbalète
-7-
La traduction de ce quatrain de Ghemery
Tu as vu, j’ai vu
toi un jour, moi l’éternité,
Tu as donné, moi, j’ai donné
toi ton cœur, moi mon âme
Tu as fait, moi, j’ai fait
toi un cadeau, moi une [sic] sacrifice
Tu es parti, moi je suis parti
toi de près de moi, moi de ce monde.
Armène
NOTES
1 Voir notre livre: Artsvi Bakhchinyan, Vartan Matiossian, «Shamakhetsi paruhin. Armène Ohaniani kianke yev gortse» (La Danseuse de Shamakha: la vie et l’œuvre d’Armène Ohanian), Erevan: Presse du Musée de la Littérature et des Arts, 2007.
2 O. V. de L. Milosz, «Lettres a Natalie Clifford Barney», Cahiers de l’Association des Amis de Milosz, 12, 1976, p. 8; Suzanne Rodríguez, Wild Heart, a Life : Natalie Clifford Barney’s Journey from Victorian America to the Literary Salons of Paris, New York, Harper and Collins, p. 2003, p. 221.
3 Marcelle Tirel, Rodin intime ou l’envers d’une gloire, Paris, Éditions du Monde Nouveau, 1923, p. 136.
4 Musée de Littérature et d’Art d’Arménie, archive d’Archag Tchobanian, , N° 1284.
5 Ohanian avait performé au Savoy Hôtel de London (avril 1915).
6 Suzanne Desprès (1875-1951), actrice française.
7 Berthe Bady (1872-1921), actrice française.
8 Remy de Gourmont (1858–1915), écrivain français.
9 Antoinette Corisande Élisabeth de Gramont, Duchess de Clermont-Tonnerre (n11 23 avril 1875 – 6 décembre 1954), écrivain français.
10 Baronne Renée de Brimont (Renée Bonnin de La Bonninière de Beaumont, 1880-1943), écrivain français.